Comores – Tribune A. Cheikh Ali : « Où est passé notre humanité ? »

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Diplômé de l’ENES en gestion et de l’université Lumière Lyon 2 en droit constitutionnel comparé, ancien directeur de cabinet du ministre de l’Éducation nationale des Comores en 1996, Abdourahamane Cheikh Ali invite les présidents successifs des Comores à ne plus détourner le regard d’une population en souffrance.

Tribune – Où est passée notre humanité ?

Peut-on dormir tranquillement au milieu d’un quartier où les gens pleurent de faim ? A moins de faire bouillir sur la place publique une marmite pleine de promesses et de se dire qu’ils finiront par s’endormir, le sommeil l’emportant sur la faim et sur les pleurs. Beaucoup de Musulmans doivent connaître l’histoire de cette dame qui campait aux abords de Médine la nuit et qui faisait bouillir de l’eau dans sa marmite en guise de repas, espérant que ses gosses las d’attendre le repas (fictif) cesseraient de pleurer et finiraient par s’endormir. Ayant découvert cette situation lors de l’une de ses tournées nocturnes, le Calife Omar, que ne connaissait pas cette dame étrangère à la capitale de l’Etat islamique d’alors, s’empressa de retourner au trésor public et d’y ramener de la nourriture et de l’argent. Il prépara à manger et servit lui-même les enfants.

Au lieu de s’inspirer de son humanité et de son sens des responsabilités, ses lointains successeurs empruntent plutôt à cette pauvre dame son stratagème. Ils font bouillir dans la marmite présidentielle des promesses qui ont pour nom : « Rehemani, Mtso wona trongo kamwa paro wona, Emergence à l’horizon 2023* ». Pourvu que les enfants que sont les Comoriens s’endorment car demain c’est un autre jour.

Peut-on considérer que les affaires de la cité sont bien gérées en dépit de l’extrême pauvreté qui étrangle un quart de la population selon la Banque Mondiale uniquement parce que l’on a un neveu qui travaille dans le secteur public et ignorer par ailleurs les 44,5 % de jeunes de moins de 25 ans qui sont au chômage selon une étude conjointe réalisée par le BIT, le PNUD et la FAO ?

Cette attitude n’est-elle pas contraire à l’esprit de l’Islam, cette religion dont nous nous réclamons et qui, selon l’article 97 de notre Constitution, régit non seulement notre culte mais aussi notre vie sociale ? La solidarité entre l’individu et sa communauté est une valeur cardinale de l’Islam.  Allah dit dans le Coran, sourate 5 verset 2 « Entraidez-vous dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété et ne vous entraidez pas dans le péché et la transgression » Comment pouvons-nous être individualistes voire égoïstes et ignorer les enseignements de ce hadith du Prophète Mohamed, paix et bénédiction sur lui : « La parabole des croyants à l’égard de l’amour, de la miséricorde et de la compassion qu’ils éprouvent les uns envers les autres est celle du corps humain : si l’un de ses membres souffre, c’est tout le corps qui est affecté par l’insomnie et la fièvre. »

La Fédération des familles rurales des Comores à Moroni (Photo : JDM)

Peut-on vivre heureux dans un océan de malheur et de désolations ? Peut-on avoir le sourire quand on croise tant de regards tristes ? Le pays subit depuis plusieurs jours de fortes pluies qui entrainent des pertes en vies humaines et des dégâts matériels importants, accentuant les souffrances et le désespoir d’une population accablée par la misère. Les pluies torrentielles drainent les ordures accumulées dans les villes et villages faute de services d’assainissement et constituent ainsi un coup d’accélérateur à l’explosion des cas de choléra qui sévit aux Comores depuis plusieurs mois. La tristesse de ceux qui ont perdu des proches et le peu qu’ils possédaient tranche avec l’allégresse du colonel Azali qui continue à écumer le monde pour goûter avec Madame aux délices des palaces. L’Etat assure le service minimum sur le front de la lutte contre le choléra, de la prévention des inondations et de l’assistance aux populations sinistrées. Par contre, il mobilise des moyens financiers gigantesques pour organiser la cérémonie d’investiture d’un président usurpateur.

Pouvons-nous continuer à nous enorgueillir de notre humanité en étant insensibles au sort de nos semblables ? Antoine de Saint-Exupéry a ainsi défini notre humanité dans Terre des Hommes « Être homme c’est précisément être responsable. C’est connaître la honte en face d’une misère qui ne semblait pas dépendre de soi…. »

Si le citoyen lambda doit éprouver la honte en face d’une misère qui ne semblait pas dépendre de lui, que dire alors d’un président dont les politiques engendrent et/ou entretiennent la misère ?

Abdourahamane Cheikh Ali

* « Rehemani », désigne littéralement un endroit où règne la miséricorde. C’était le slogan de campagne du président Taki

« Mtso wona trongo kamwa paro wona » signifie « vous verrez quelque chose que vous n’avez jamais vue ». C’était le slogan de campagne du président Sambi.

« Emergence à l’horizon 2030 », slogan du colonel Azali qui est toujours en campagne depuis 2016

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